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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 16:31

B) L’Inquisition dans le Livre des sentences

Le Livre des sentences contient un total de 940 sentences prononcées. Trois questions majeures vont structurer l’analyse statistique de cet ouvrage inquisitorial. Comment se répartissent les différentes peines parmi ces sentences? Comment évoluent les peines tout au long de l’ouvrage? Comment se répartissent les peines entre hommes et femmes?

1) Les sentences

A partir du Livre des sentences, nous pouvons répartir les 940 sentences qui s’y trouvent sous la forme du graphique ci-après:

Illustration n°4: “Graphique de répartition des sentences par catégorie.”

II) B) 1) M0510


Par soucis de clarté, les sentences ont été regroupées par catégories thématiques. La catégories “Grâces” regroupe les grâces des croix, les pèlerinages sans les croix (qui sont prononcés avec les remises de peine) et les relaxes du Mur. La catégorie “Croix” regroupe les condamnations aux croix simples et doubles. La catégorie “Mur” regroupe les condamnation au Mur, au Mur strict et “au Mur s’ils vivaient”. La catégorie “Cour séculière” regroupe l’abandon à la cour séculière et l’abandon à la cour séculière “s’ils vivaient”. La catégorie “Morts dans l’hérésie” regroupe les sentences d’exhumation et de destruction des corps, celles d’exhumation et de mise à l’écart des morts et la destruction de leur maison. La catégorie “Fugitifs” ne contient que les condamnations contre des fugitifs. Enfin, la catégorie “Autres” comprend la peine d’exposition sur une échelle accompagnée du port de langues de cuir, les sentences d’exil et de bannissement, les sentences d’excommunication et de dégradation, les Talmuds brûlés et la Réconciliation du château de Cordes.

Nous pouvons tout d’abord observer, grâce à ce graphique, que la peine la plus communément prononcée est la peine du Mur, y compris le Mur strict. Elle représente un tiers (34%) des condamnations présentes dans le Livre des sentences. A cela s’ajoute la peine du port des Croix, comprenant le port des Croix doubles, qui représente 14% des condamnations prononcées. Ainsi, près de la moitié (48%) des condamnations sont temporaires. En effet, bien que les peines du Mur et du port des Croix sont censées être perpétuelles, elles revêtaient en réalité un caractère temporaire, car l’inquisiteur se réservait la possibilité de libérer du Mur ou de gracier du port des Croix les condamnés. Et cette possibilité a été souvent mis à profit par Bernard Gui, près d’un tiers des sentences (31%) étant des grâces. Donc, ce graphique nous montre que 79% (en additionnant ces trois types de sentences) des sentences concernent des peines temporaires.

Les condamnations inquisitoriales n’aboutissent donc que rarement à une exécution capitale. En effet, on peut observer sur le graphique que les peines d’abandon à la cour séculière (peine de mort) ne représentent que 5% des sentences prononcées (46 sentences de mort sur 940 peines présentes dans le Livre des sentences). L’imaginaire populaire au sujet de l’Inquisition veut que ce tribunal ne connaisse que cette peine pour punir le crime d’hérésie. Les chiffres présentés par ce graphique montrent le contraire. La peine capitale n’y est qu’une peine secondaire, d’un point de vue quantitatif. On peut donc en arriver à la conclusion que l’objectif de l’inquisiteur, et du tribunal auquel il appartient, n’est pas seulement de punir, mais surtout de convertir les hérétiques. L’humiliation conférée par le port des Croix et la privation de liberté que constitue la peine du Mur semblent d’ailleurs avoir une grande efficacité, comme le montre l’importance proportionnelle des grâces.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 16:34

Dans le graphique ci-après, les sentences des 13 octobre 1309, 9 avril 1310, 22 avril 1312, 30 avril 1312, 20 septembre 1313, 6 mars 1316, 28 novembre 1319, 8 décembre 1319, 15 juin 1320, 29 juin 1321, 14 juillet 1321 et 2 août 1321, ont été écartées de ce graphique dans un soucis de clarté, car ce sont tous des sermons particuliers. A partir de ce graphique, nous pouvons d’abord observer que trois types de sentences sont en déclin pendant la période couverte par le Livre des sentences (1308-1323): les condamnations au Mur, celles à la cour séculière (peine capitale) et celles contre les cadavres d’hérétiques (“exhumés et brûlés”). Trois autres sont en nette augmentation: les sentences de grâce des Croix, celles de libération du Mur et celles prononcées contre des fugitifs.

Illustration n° 5: “Graphique d’évolution de cinq peines.”

II) B) 1) M0610


Cela peut s’expliquer par le grand nombre de cas à étudier lorsque Bernard Gui prit ses fonctions. On assiste à une augmentation progressive du nombre de condamnations au Mur, à la cour séculière et contre les cadavres d’hérétiques jusqu’au 23 avril 1312, où le nombre de condamnations atteint son apogée. Puis, le nombre de ces condamnations va en décroissant. Ainsi, la première moitié de l’office de Bernard Gui est marquée par une forte répression. Celle-ci semblent porter ses fruits car les sentences de grâce des Croix et de libération du Mur, au début assez peu nombreuses, vont en croissant. On ne peut déterminer si cette “efficacité” de l’office de Bernard Gui est due à l’exemple que la répression a donné ou que l’essentiel des hérétiques existant alors ont été condamnés au début de son office. Cette dernière théorie aurait pour conséquence que le principal facteur d’affaiblissement de l’hérésie dans le Languedoc ne soit pas l’Inquisition, mais autre. La prêche des ordres mineurs pourrait être ce facteur. L’ancienneté des faits reprochés aux hérétiques dans les descriptions de fautes des condamnés (de deux à vingt ans avant le sermon lui-même) me fait pencher pour la deuxième théorie, même s’il ne m’appartient pas ici de la prouver.

On observe ensuite un faible nombre de condamnations lors des sermons suivants: 3 mars 1308, 7 mars 1316, 4-5 juillet 1322 et 19 juin 1323. Les sermons du 3 mars 1308 et du 19 juin 1323 sont respectivement le tout premier et le tout dernier sermon de l’office de Bernard Gui. On peut raisonnablement supposer que le faible nombre de sentences du sermon du 3 mars 1308 est du au temps de mise en place de Bernard Gui. En d’autres termes, il lui a fallu une année (jusqu’au 25 mai 1309) pour que son travail soit correctement mis en route. L’explication du faible nombre de sentences lors du sermon du 19 juin 1323 est plus problématique. En effet, deux théories peuvent l’expliquer: soit Bernard Gui a “bâclé” son travail sur la fin de son office, sachant qu’il allait quitter l’Inquisition peu après, soit il restait tout simplement peu de personnes dont le cas était à juger. La première théorie est peu vraisemblable, tout d’abord parce que cela ne correspond pas à sa mentalité. Insatiable compilateur, minutieux inquisiteur, Bernard Gui n’a pas le profil pour délaisser un travail si important à ses yeux et où il a toujours excellé. D’autre part, il n’est nommé évêque de Tuy, en Galice, que le 26 août 1323, soit trois mois après le sermon du 19 juin 1323. Il est peu vraisemblable qu’il ait été nommé avec autant de temps d’avance, donc qu’il ait à l’esprit sa future nomination lors de la préparation de son dernier sermon en tant qu’inquisiteur.

Les sermons du 7 mars 1316 et des 4 et 5 juillet 1322 marquent deux coupures dans l’évolution quantitative des prononciations de sentences dans le Livre des sentences. Pour comprendre cela, il faut être conscient que ces deux sermons sont précédés de longues périodes où l’activité inquisitoriale semble faible (pour ce que nous pouvons en juger à partir du Livre des sentences). En effet, sur la période de quatre ans séparant le sermon du 7 mars 1316 du précédent (celui du 23 avril 1312), il n’y a eu que trois sermons particuliers, regroupant à eux trois vingt-deux sentences. De même, sur la période de trois ans séparant le sermon des 4 et 5 juillet 1322 du précédent (30 septembre 1319), un total de dix-huit sentences est prononcé lors de six sermons particuliers. Ainsi, l’office de Bernard Gui est divisible en trois périodes, chacune précédée d’un temps d’accalmie. Dans son article sur le Livre des sentences, Jean-Louis Biget explique cette première couture par les conséquences de la bulle Multorum querela:

“La suspension des condamnations entre 1312 et 1316, si l’on excepte celle qui frappe un relaps en septembre 1313, correspond aux incertitudes touchant l’Inquisition après Multorum querella, bulle fulminée par Clément V le jour même où Bernard Gui préside le sermon général qui clôt la première époque de son activité à la tête du tribunal inquisitorial de Toulouse. Cette bulle oblige les inquisiteurs à procéder avec les évêques pour poursuivre, citer et incarcérer les suspects d’hérésie; elle stipule que la mise en question de ces derniers et l’énoncé de leur sentence doit se faire d’un commun accord entre les juges délégués à cette fin par le pape et les ordinaires. Bernard Gui conteste vivement cette collégialité; il proteste conjointement avec Geoffroy d’Ablis (B.N.F., coll. Doat, vol. 30, fol. 93 s.). On comprend donc qu’il suspende son travail d’inquisiteur jusqu’à la mort de Clément V et le reprenne avec la vacance du siège pontifical, qui lui rend une certaine autonomie.” 164
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 16:36

Mais une autre explication est complémentaire à la celle de Biget. En effet, Bernard Gui semble privilégier certaines zones pendant une période avant de se tourner vers une autre. On peut observer qu’à chaque village, la majorité des habitants voit la première sentence prononcée contre chacun leur être commune. De plus, si on réunit les localités (villes et villages) par zone géographique, on peut remarquer que le résultat est similaire ou approchant. Ainsi, toutes les localités de la Gascogne dont des habitants ont été condamnés par Bernard Gui voient ceux-ci l’être la première fois lors du sermon du 30 septembre 1319. Cela ne signifie pas que les poursuites s’arrêtent ensuite, mais que Bernard Gui semble élargir son champ d’action par étapes. On peut décrire ce phénomène comme suivant. Tout d’abord, Bernard Gui s’occupe de Toulouse et de Verdun-Lauragais (actuellement dans l’Aude), deux villes où habitent un nombre important de Cathares, lors du sermon du 25 septembre 1309. Puis, dans les années 1310-1312, toute la zone au nord-est de Toulouse est passée au crible, lors du sermon du 5 avril 1310: Lugan, Saint-Sulpice-la-Pointe, Le Born, Verlhac-sur-Tescou. Cela est complété par diverses villes lors du sermon du 23 avril 1312: Bouillac et Ferrus, notamment. Lorsque Bernard Gui relance son activité inquisitoriale après la première coupure, son activité est assuré par l’extension de la zone que celle-ci couvre à la Gascogne. Ainsi, les villes de Mazères et Saint-Jean-le-Comtal, par exemple, voient leurs habitants condamnés pour la première fois lors du sermon du 30 septembre 1319. Après la seconde coupure, l’inquisiteur se préoccupe notamment aux hérétiques du sud du Languedoc: les Cathares de Montaillou, dans le comté de Foix, sont condamnés pour la première fois lors du sermon du 2 août 1321 et ceux d’Ax-les-Thermes, ainsi que les Béguins de Belpech, le sont lors de celui des 4 et 5 juillet 1322.

Les catégories utilisées dans l’illustration ci-après sont les mêmes que pour l’illustration n° 4: “Graphique de répartition des sentences par catégorie.”, page 68. Les Talmuds brûlés et la Réconciliation du château de Cordes ont été exclus de ces catégories, le premier étant une sentence rendue contre des objets, et le second concernant une population regroupant les deux genres. Les destructions de maisons ont été réparties en fonction du genre de la personne qui y est morte dans l’hérésie (ce qui a motivé ces sentences).

Illustration n° 6: “Répartition sexuelle des peines par catégorie.”

II) B) 1) M0710


La moyenne de représentation des hommes dans le Livre des sentences (en excluant le sermon contre les Talmuds et la Réconciliation du château de Cordes) est de 60, 74%, soit 571 sentences prononcées contre eux sur 940, et celle des femmes est de 39, 26%, soit 369 sentences prononcées contres elles sur 940. On peut donc observer que les femmes sont sur-représentées dans les sentences de grâces (de croix et du Mur), de port de croix (simples et doubles) et contre des personnes mortes dans l’hérésie (dont les sentences contre leurs maisons). Elles sont par contre sous-représentées dans les sentences de Mur (dont le Mur strict), d’abandon à la cour séculière (peine capitale), contre les fugitifs et les autres sentences. La sur-représentation des femmes dans les sentences contre les personnes mortes dans l’hérésie peut être expliquée par l'espérance de vie supérieure de celles-ci. Vivant plus souvent seules leurs derniers jours, elles sont plus réceptives aux prêches hérétiques à ce sujet. L’exclusivité masculine des sentences de la catégorie “Autres” s’explique essentiellement par le fait que celle-ci regroupe surtout des condamnations contre des clercs (Bernard Délicieux et Jean Philibert).

Ces exceptions mises à part, on peut observer que les sentences les plus sévères sont sur-représentées en hommes alors que les grâces et sentences de port des croix sont sur-représentées en femmes. Cela s’expliquerait-il par une petite faiblesse du Dominicain envers la gente féminine? En effet, ayant souvent des enfants à charge, il est vraisemblable que les femmes bénéficient plus souvent de la clémence de Bernard Gui que les hommes:

“Parce qu’elle avait de nombreux enfants en bas âge et que son mari, qu’elle craignait, les lui avait fait faire, elle trouva grâce du Mur. (Quia habebat multos pueros parvos et quia vir suus fecerat fieri, quem timebat, invenit gratiam de muro.)” 165

Mais, sans totalement exclure cette thèse, on pourrait vraisemblablement supposer que cet état de fait est surtout du à une moins grande implication féminine dans la vie religieuse hérétique. Cela est particulièrement vrai chez les Vaudois et les Béguins, où la hiérarchie ecclésiastique est essentiellement masculine.

Il nous faut maintenant analyser la géographie des sermons et des sentences qu’elles contiennent. Trois questions majeures vont structurer cette analyse. Où sont prononcés les sermons? Comment sont répartis géographiquement les hérésies combattues par Bernard Gui? Où habitent les condamnés?

164 J.L. Biget, “Le Livre des sentences ...”, op. cit.

165 Bernard Gui, Liber sententiarum..., op. cit., p. 216-217.
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