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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:26

Peines et pénitences dans le Livre des Sentences de Bernard Gui



Un ciel d’encre, tout juste éclairé par la lumière des étoiles et par le feu des torches, est fendu par trois poteaux de bois. Au pied de ceux-ci, les fagots sont disposés pour permettre une meilleure combustion. La colline où ils se situent voit sa base occupée par une foule geignante. Les femmes pleurent. Les hommes crient leur désespoir. La garde emmène les trois hérétiques au sommet de ce promontoire naturel, et les attache à ce qui va marquer la fin de l’existence de ces victimes de la folie humaine, condamnés pour ne pas avoir pensé et vécu comme le voulait celui qui regarde la scène, avec dans ce regard glacé le sentiment de victoire qui trahit son besoin de dominer ses contemporains. Portant la bure noire et blanche de son ordre, les Dominicains, et arborant sa petite barbichette et sa tonsure, Bernardo Gui est fier de son oeuvre: le Diable a été vaincu et tout ce que pourra dire la populace en larmes en contrebas n’y changera rien. Les gardes abaissent leurs torches sur les fagots et les flammes s’élèvent, emmenant avec elles vers le ciel les cris de souffrance des condamnés. L’Inquisition a une nouvelle fois imposé sa loi...

Telle est la vision de Bernard Gui et de l’Inquisition que nous a laissé Jean-Jacques Annaud, dans son film Le nom de la rose, adapté du roman du même nom d’Umberto Eco. Il nous dépeint une vision totalitaire de la conception inquisitoriale de la religion catholique, et un fonctionnement partial, subjectif et expéditif de ce tribunal. A l’en croire, tout inquisiteur est un homme dont les seules motivations sont le besoin de dominer ses contemporains par la violence et le rejet de toute conception de la foi autre que la sienne. Lorsque Bernardo Gui arrive dans le monastère, peu avant dans le film, il s’empresse de dénoncer l’influence du Diable et trouve sans tarder des boucs émissaires pour leur faire porter toutes les fautes de la communauté. Ce jugement expéditif, seulement appuyé par des aveux arrachés sous la torture, n’atteint cependant pas le coupable de la série de meurtres qui trouble la petite communauté monastique. Seul le frère Guillaume de Baskerville, interprété par Sean Connery, dont l’esprit logique a été développé par la lecture des ouvrages des plus grands philosophes grecs antiques, trouve le véritable coupable. La morale du film est donc la victoire de la raison sur l’intégrisme, du raisonnement logique sur la violence religieuse. La mort de Bernardo Gui, massacré par la foule excédée, vient parachever cette leçon de morale.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:27

Cette conception stéréotypée et manichéenne de l’Inquisition n’est certes pas dénuée de toute vérité, loin s’en faut, mais il est nécessaire à l’historien de faire la part entre cet aspect là et le fantasme, ne pas devenir aussi partial que les inquisiteurs sont accusés d’avoir été, bref de ne pas faire le procès de l’Inquisition. Mais cette conception est ancrée dans l’imagerie populaire de manière si forte qu’il est nécessaire de se demander d’où elle provient. Pour ce faire, l’histoire de la source qui va être étudiée dans le présent mémoire est assez révélatrice. Il s’agit du manuscrit nommé Liber Sententiarum Inquisitionis Tholosanae, ou Livre des Sentences de l’inquisiteur Bernard Gui, comme l’a traduit Annette Pales-Gobilliard 1, traduction qui sera utilisée pour l’analyse constituant le présent mémoire. William Waller, fils de l’anglais Cromwell, acheta le manuscrit en 1676, à Montpellier. En 1677, le philosophe anglais John Locke (1632-1704) en recopie de larges extraits. Puis Waller le confia en 1687 à son ami Benjamin Furly, quaker anglais marchand résident à Rotterdam. Ce dernier laisse sur le manuscrit la trace de son passage, au folio f°203v, qui comporte l’ex-libris de “Mr Benjamin Furly of Rotterdam Merchant, 1705”. Quelle n’est pas la surprise de Locke, alors en exil à Rotterdam depuis 1683, lorsqu’il retrouve le manuscrit chez son ami Furly, membre comme lui de “La Lanterne”, petit groupe d’intellectuels protestants. Philippe Van Limborch, également ami de Furly, accepte de l’intégrer dans le livre qu’il est en train de rédiger: L’histoire de l’Inquisition 2. Il conserve ainsi le manuscrit de 1688 à 1692. Celui-ci devient par la suite la propriété d’un des créanciers de Waller, mais Furly arrive à le racheter en 1695. Toutes ces péripéties nous sont connues par les correspondances de Locke et de Furly.

Lorsque Furly meurt, en 1714, son fils Jean Furly emporte le manuscrit dans ses bagages lors de son voyage vers l’Angleterre. A sa propre mort, le 22 avril 1755, son fils Thomas Furly le donna à l’évêque Secker, qui en fit lui-même don le 21 août 1756 au British Museum. Le manuscrit fut par la suite considéré comme disparu par plusieurs historiens dont Léopold Delisle (1879), Charles Molinier (1880), et Charles Douais (1900). Mais il fut retrouvé en 1973 par A.E. Nickson, conservatrice du département des manuscrits de la British Library, sous la cote Add.Ms.4697. Il était inscrit au catalogue d’Ayscough depuis 1782 sous le titre: Liber Sententiarum Continens Sententias et Acta Inquisitionis Tholosanae ab 1307 ad 1323. Nous pouvons donc observer que ce groupe de protestants était très intéressé par ce manuscrit. En effet, il semble indéniable qu’avoir un tel ouvrage donnait un appui à la dénonciation des exactions commises par l’Eglise catholique et faire ainsi le jeu du protestantisme. Philippe Van Limborch nous montre bien cette volonté de se servir de l’histoire de l’Inquisition pour faire passer son message à la fois religieux et politique.

L’ironie de l’histoire étant ce qu’elle est, c’est en faisant la même erreur que je dénonce ici que je me suis intéressé à ce thème. Je suis en effet d’origine occitane, et choisir ce sujet de mémoire était pour moi un moyen de mieux comprendre l’histoire de mon peuple. Mon grand-père m’a souvent raconté l’interdiction qui était faite depuis le XIXe siècle de parler occitan à l’école, sous peine d’avoir la langue frottée au savon. Les dernières personnes de ma famille qui savaient parler cette langue étaient de la génération de mes arrières-grands-parents. Cet exemple montre bien, je pense, à quel point il m’est nécessaire de connaître ce peuple dont je suis issu, de me rattacher à ces racines qui me font tant défaut, de ne plus me sentir orphelin d’une culture qui m’est depuis si longtemps étrangère. L’histoire de l’Inquisition n’était pour moi qu’un moyen de faire cette union dont j’ai tant besoin. Je la concevais moi aussi à l’époque comme une terrible machine à mettre en pratique l’intolérance, le sadisme et la folie humaine, l’Occitanie n’en étant qu’une victime parmi d’autres. Il me fallait comprendre comment une telle horreur était possible, selon un état d’esprit que je pourrais comparer à celui d’un juif qui étudierait l’histoire des camps de concentration nazis. Mais bien que cette logique subsiste encore partiellement dans mon esprit, le travail nécessaire à la rédaction de ce mémoire m’a permis de prendre du recul sur les aspect moral et personnel de ce sujet. Il m’a fallut tenter de me mettre dans la tête d’un inquisiteur pour comprendre quelle était sa logique et selon quelles conceptions il accomplissait sa tâche. Il m’a donc été nécessaire de mettre de côté la subjectivité de mes motivations pour accomplir ma propre tâche d’étudiant en histoire. Donc, bien que je rende hommage à l’exceptionnel travail artistique de Jean-Jacques Annaud et d’Umberto Eco, ainsi qu’au courageux travail de prédication des protestants du XVIIe siècle, je ne peux ici me permettre de poursuivre leur oeuvre. Un travail d’historien se doit de mettre à l’écart les éventuels jugements moraux de son auteur. L’Inquisition est née et s’est développée dans un contexte historique précis, parmi une population dont la conception de la morale a très peu en commun avec celle que nous connaissons aujourd’hui. Ce serait donc une erreur de concevoir le XIVe siècle comme une société pensant le monde comme nous le faisons au XXIe.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:27

Pour bien comprendre ce qu’était l’Inquisition, il faut comprendre le contexte dans lequel elle s’inscrit. L’inquisition est définie dans le Lexique historique du Moyen Age, sous la direction de René Fédou, comme une “procédure instituée au Moyen Age par la papauté pour lutter contre les hérésies” 3. Elle est issue d’une procédure datant de Charlemagne, par laquelle le pape pouvait envoyer des émissaires chargés de missions exceptionnelles, parmi lesquelles la lutte contre les hérésies figurait. Mais ces émissaires étaient peu utilisés, car ils n’avaient ni les moyens matériels, ni le pouvoir juridique suffisants pour mener à bien de telles missions dans des zones où les hérésies étaient fortement représentées. De nombreuses joutes oratoires, ou disputes (disputatio), furent organisées entre des clercs catholiques et des hérésiarques (terme utilisé par l’Inquisition pour définir un clerc d’une hérésie), mais cela n'eut pas l’effet escompté quant à la conversion de la population. Par exemple a eu lieu à Pamiers une rencontre entre des représentants de l’hérésie vaudoise et des moines dominicains, à l’instigation de l’évêque Diègue d’Osma et avec la présence vraisemblable de Saint Dominique (1170-1221) 4, fondateur de cet ordre monastique. La seule personne dont le chroniqueur témoigne de la conversion est Arnaud de Crampagna, l’arbitre de la dispute et auparavant favorable aux vaudois. Lorsque certaines hérésies se firent suffisamment puissantes pour défier Rome, il fut nécessaire à l’Eglise d’utiliser des moyens plus efficaces.

Le 15 janvier 1208, le légat du pape Pierre de Castelnau, envoyé pour lutter contre l’hérésie albigeoise, fut assassiné par un homme de Raymond VI (1156-1222), comte de Toulouse. Une croisade fut alors décidée par le pape Innocent III (1160-1216). Une armée de 200 000 chevaliers originaires du nord de la Loire s’empara de la ville de Béziers en juillet 1209, puis de Narbonne et de Carcassonne. Elle était commandée par Simon IV de Montfort (1160-1218), baron de Montfort et comte de Leicester, et Arnaud Amalric (mort en 1225), abbé de Cîteaux, à qui on attribue la célèbre phrase “Tuez-les tous! Dieu reconnaîtra les siens.”, qui aurait été prononcée lors du siège de Béziers. Les conquêtes faites furent attribuées à Simon de Montfort, qui continua la lutte pour son propre compte. Il tua le roi Pierre d’Aragon (1174-1213), qui venait secourir son allié Raymond VI, à Muret en 1213, et s’empara du comté de Toulouse en 1215. Mais les toulousains se révoltèrent en 1218 et Simon de Montfort fut tué en assiégeant la ville. Son fils, Amaury VI de Montfort (1192-1241), ne put empêcher le nouveau comte de Toulouse Raymond VII (1197-1249) de reconquérir ses terres et dut faire appel au roi de France, Louis VIII dit “le Lion” (1187-1226). Cela entraîna une deuxième croisade, lancée par le concile de Bourges en 1225, qui aboutit, après la prise d’Avignon par les croisés en 1226 et la formation des sénéchaussées royales de Beaucaire et de Carcassonne, aux traités de Paris: Raymond VII conservait le comté de Toulouse et le Laurageais, mais avec des clauses qui en permirent l’annexion au domaine royal dès le XIIIe siècle 5, ce qui revint à une véritable capitulation. La fin de la croisade vit donc le pays d'Oc partagé en trois parties: les terres du roi d’Angleterre, c’est-à-dire l’Aquitaine, celles du roi d’Aragon, Montpellier, et celles du roi de France, grand vainqueur de la croisade, c’est-à-dire le Toulousain et les anciennes terres des Trancavel, comtes des terres d’Albi, de Béziers, de Narbonne et de Carcassonne6.

Les conditions sont alors réunies pour modifier les méthodes de lutte contre les hérésies. Le comte de Toulouse, maintenant simple vassal du roi de France, est obligé d’apporter son soutien à la volonté de l’Eglise dans ce domaine, d’autant que cela va dans le sens des intérêts de la couronne de France, désireuse d’assurer la conservation de ses nouvelles terres. La recherche (inquisitio) judiciaire des hérétiques a pris naissance peu après les traités de Paris, au concile de Toulouse de 1229. Ce concile leva l’interdit qui était fait aux clercs de participer à la torture et à des jugements condamnant quelqu’un à mort ou à la mutilation. La procédure méridionale de droit commun prévoyait alors que les parties voient les témoins prêter serment, puis que ceux-ci soient entendus par des notaires, enfin que les témoignages soient officiellement communiqués. Dans ce contexte d’immédiat après-guerre, une mesure fut alors prise de peur de voir les témoins à charge se faire assassiner: “On donna aux défenseurs la liste de tous les témoins de toutes les enquêtes, pour qu’il ne pussent récuser à coup sûr, comme ennemis personnels 7, ceux qui avaient spécialement déposé contre lui” 8.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:28

En avril 1233, une seconde étape fut franchie dans l’organisation de l’Inquisition, quand le pape Grégoire IX (1227-1241) en fit, par la bulle Ille humani generis, une institution pontificale, relevant directement de lui, et dont les procédures débutèrent sur accusation (ce qui était rare car la loi du talion prévoyait qu’en cas d’innocentement, c’était l’accusateur qui subissait la peine dont était passible l’accusé), sur dénonciation et sur initiative de l’inquisiteur. L’objectif du concile était de faire faire pénitence aux principales têtes de file de la résistance à la croisade, qu’ils soient hérétiques ou non. D’ailleurs, le terme “hérétique” n’était employé dans le Languedoc que pour désigner les Parfaits cathares 9, qui furent sommés de quitter le Languedoc le dimanche de Pâques 1229. A cette époque, la législation inquisitoriale ne poursuivait que les Parfaits, ceux qui montraient ostensiblement leur appartenance à la religion cathare ou qui les hébergeaient. Mais cela ne se fit pas sans heurts: des révoltes à Albi en 1234 et à Toulouse en 1235 chassèrent les inquisiteurs jusqu’en 1241. En mai 1242, les inquisiteurs Guillaume Arnaud et Etienne de Saint-Thibéry furent assassinés. Ces conditions difficiles amenèrent à sa suspension de 1249 à 1255, au profit des évêques, qui se montrèrent cependant peu efficaces dans la poursuite des hérétiques 10.

Pendant le reste du XIIIe siècle, les objectifs s’étendirent à la poursuite de toute croyance s’opposant ou divergeant du dogme catholique. Il s’agissait alors de poursuivre quelqu’un non seulement pour ses actes, mais aussi - et surtout - pour ses pensées. Tout ce qui entravait la recherche de cette vérité fut mis de côté: la présence d’avocats était permise, mais seuls trois furent nommés lors des procès d’Inquisition tout au long du XIIIe siècle 11, la procédure d’appel n’exista plus, et les accusés renoncèrent à toutes les exceptions qui seraient basées sur des irrégularités de procédure. Bernard Gui (1261-1332) écrivit lui-même: “Les inquisiteurs peuvent procéder […] simplement et de plano, sans le tapage et le spectacle des avocats et des procès” 12. En 1312, la bulle Multorum oblige cependant les inquisiteurs à collaborer avec les évêques.

Mais tout cela ne fut pas possible sans l’action des Dominicains, ordre dont fit partie Bernard Gui. En effet, l’ordre des frères Prêcheurs, fondé par Saint Dominique, reçut en 1233 une délégation générale pour l’exercice inquisitorial, appuyé par les Franciscains, pour la France, l’Allemagne et l’Espagne, par la bulle Excommunicamus de Grégoire IX (1145-1251). Né entre 1171 et 1173 à Caleruega en Castille, Domingo de Guzman, ou Saint Dominique 13, fondateur de l’ordre des frères Prêcheurs, ou Dominicains, fonda son oeuvre d’évangélisme sur trois aspects. Tout d’abord, il participa à des disputes, qui l’opposèrent à des théologiens cathares et vaudois. Puis il offrit ensuite, lors de la croisade des albigeois, des pénitences, appelées réconciliations, aux hérétiques convertis. Enfin, il organisa la fondation de monastères, respectant le règle de Saint-Augustin, notamment à Prouille, à Fanjeaux et à Montréal, en plein coeur du pays cathare, mais aussi à Bologne, à Toulouse et à Paris, entre autres. A la fin du XIIIe siècle, l’ensemble de la chrétienté latine, de l'Écosse à Chypre et de l’Espagne aux pays baltes, fut couvert d’un réseau de maisons de Prêcheurs. En 1304, cinq studium generale, écoles formant les docteurs utiles à l’ordre, existaient: à Paris, Montpellier, Bologne, Oxford et Cologne. Ils fournirent par la suite l’essentiel des inquisiteurs et docteurs travaillant pour l’Inquisition. En quittant le Languedoc en 1217, Saint Dominique laissa deux communautés: celle de Prouille (avec les frères Guilhem Claret et Noël de Prouille) et celle de Toulouse, installée auprès de l’église Saint-Romain, au centre de la ville, avec Pierre Cellan14. En 1219, celui-ci fut envoyé fonder le couvent de Limoges, qui devînt une pépinière d’historiens dominicains: en 1233, Pierre Cellan reçut à la profession (de foi) Etienne de Salagnac qui lui-même reçut en 1260 le frère Bernard Gui.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:28

Celui-ci est l’auteur du manuscrit qui va être étudié dans le présent mémoire. Il s’agit, comme dit précédemment, du Liber Sententiarum Inquisitionis Tholosanae ou Livre des Sentences de l’inquisiteur Bernard Gui, selon la traduction donnée par la traductrice Annette Pales-Gobilliard. Il est conservé à la British Library de Londres, sous la cote Additional 4697. Il se présente sous la forme d’un ouvrage de 36 centimètres sur 25 centimètres, relié de cuir rouge, les tranchefiles étant d’or fin. Il est en un parfait état de conservation. Au dos se trouve la mention “Liber Sententiarum Tholosanae, 1307-1323, British Museum, presented by Archbishop Secker”, accompagné en haut du chiffre 173 et en bas de l’indication “I.1”. L’ouvrage se compose de 221 feuilles de parchemin blanc de 34 centimètres et demi sur 24 centimètres. Elles sont réunies en 17 cahiers de six bifolios, provenant vraisemblablement de la même peau15. Au recto de la première feuille de chaque cahier et au verso de sa dernière, se trouve écrit au bas de la page une signature comprise entre I et XVII. Les parchemins de ces feuilles ont été soigneusement entretenus, les trous laissés par le passage des veines ayant été soigneusement recousus. Les feuilles, parfaitement aplanies, ne présentent aucune imperfection notable qui aurait conduit les scribes à contourner des taches ou des trous. Elles sont numérotées doublement, en arabe et en romain, dans le coin supérieur droit de chaque recto. Sur chaque feuille a été tracé au stylet et à la mine de plomb une réglure rectangulaire de 24 centimètres et demi sur 14, 7 centimètres, souligné par un double trait pour les marges. Dans ce rectangle se trouvent 48 lignes utilisables pour l’écriture. Celle-ci, variant assez peu suivant les scribes qui se sont succédés pour la rédaction de ce manuscrit, est en latin médiéval du XIVe siècle et est toujours en encre noire. Sa régularité et sa clarté rendent sa lecture aisée. Chaque partie composant les sermon est précédée d’un titre, chaque paragraphe étant séparé du précédant par quelques lignes vierges. Un trait de plume discontinu entoure les titres des sermons. La phrase In nomine nostri Jhesu Christi, amen, qui précède certains paragraphes, utilise de grandes lettres pour les distinguer et l’initiale I peut atteindre la taille de sept à huit centimètres. Les phrases les plus importantes qui les composent commencent par un pied de mouche, le nom de chaque condamné et le texte le concernant étant annoncés par ce signe. Des notes, dans la marge de gauche, viennent compléter le texte. D’une écriture plus petite, elles sont soulignées par un trait de plume. La marge de droite est réservée aux mots oubliés dans le texte par le scribe.

Le texte des sentences les plus importantes se termine par un colophon des notaires qui ont assisté au procès et ont fait transcrire les actes inquisitoriaux. Ils y donnent leur identité, leur origine géographique, leur fonction dans l’Inquisition et apposent leur seing manuel. De 1308 à 1316, ce sont Pierre de Clavières, notaire et juré de l’Inquisition, et Jacques Marquès, recteur de l’église Saint-Pierre-d’Avit, dans le diocèse d’Albi, et notaire de l’Inquisition. Si Jacques Marquès est toujours présent jusqu’en 1322, à partir 1319, Guillaume Julia, clerc du diocèse de Limoges, tabellion public par autorité apostolique et juré de l’Inquisition, a remplacé Pierre de Clavières. Il devait probablement sa charge à Bernard Gui, étant comme lui originaire du village de Royère en Limousin. Il a rédigé les actes de 1319 à 1322. A la fin du sermon du 12 septembre 1322, un nouveau scribe, Bernard Sutor, de Saint-Yrieix, lui aussi clerc du diocèse de Limoges, notaire public de Toulouse et juré de l’Inquisition, apporte son concours à la transcription des actes.

Un manuscrit médiéval n’est pas constitué en une fois et sans correction, comme l’impression d’un livre contemporain, et le Livre des sentences comporte quelques ajouts. Le dernier sermon, du 19 juin 1323, est écrit sur deux colonnes au verso de la dernière feuille. C’est un résumé très succinct des peines qui ont été attribuées à Pamiers par les inquisiteurs de Toulouse et de Carcassonne, avec Jacques Fournier, évêque de Pamiers, dont les procédures ont déjà été éditées 16. Avant le corps du manuscrit relatif aux sentences est inséré au folio 4r l’index des noms de lieux, sous le nom de Nomina locorum secundum ordinem alphabeti. Il se présente sous la forme de deux colonnes de 61 lignes. L’écriture est petite et, pour souligner l’ordre alphabétique suivi, la scribe a formé une majuscule avec la première lettre du premier nom de la série. Au verso de cette feuille, cette disposition en deux colonnes se poursuit, dans la colonne de gauche se trouvant consignés 17 noms de lieux commençant par la lettre V. Dans la colonne de droite est consignée la liste de 14 des 21 sermons composant l’ouvrage. Ils sont numérotés, portent l’indication du lieu où ils ont été prononcés, parfois le contenu, et l’indication de la page où ils débutent. Deux listes de noms de personnes condamnées dans les sermons composant cet ouvrage s’y trouvent, aux folios 1r-8r et au folio 9v. Certains noms sont communs aux deux listes. A la page 64 de sa traduction du manuscrit, Annette Pales-Gobilliard a inséré un chapitre comprenant les informations qu’elle a prélevé des comptes royaux sur les personnes apparaissant dans ces deux listes, soient 143 personnes. Les comptes royaux les concernant couvrant la période 1285-1328, Annette Pales-Gobilliard suppose donc que la rédaction du manuscrit est postérieur à 1328. Le parcours que suivit l’ouvrage depuis son achat par William Waller en 1676 a laissé des traces sur le manuscrit lui-même. La page de garde porte les armes de l’archevêque Secker, avec les mentions “4697” et “Plut. I. F., ex dono Secker”. Des lettres du philosophe John Locke, des fragments de la Bible datés du XIIe siècle, une lettre de Carolus Bontius, datée du 4 février 1695, qui authentifia le manuscrit, ont été rassemblés sous la reliure, avant le Livre des sentences lui-même. La colonne de droite du folio 203v porte l’ex-libris de “Mr. Benjamin Furly of Roterdam Merchant, 1705”.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:28

Comme nous le verrons au cour du développement du présent mémoire, ce manuscrit contient la rédaction des 21 sermons prononcés par l’inquisiteur Bernard Gui dans la période 1308-1323. Pour en faire l’analyse, je vais suivre la problématique suivante: “Quelle logique conduit à l’attribution de peines et de pénitences par Bernard Gui d’après son Livre des sentences?”. En d’autres termes, je vais m’efforcer d’étudier cette source en me demandant ce qui a guidé Bernard Gui dans ses choix lorsqu’il condamnait telle ou telle personne convaincue d’hérésie, ou “Quel résultat cherche-t-il donc à obtenir en donnant telle peine ou telle pénitence à tel condamné?”. Pour ce faire, le présent mémoire débutera par description de la source, en analysant les rapports de Bernard Gui et l’hérésie et en étudiant la structure de l’ouvrage. L’analyse des rapports entre Bernard Gui et l’hérésie sera constitué de la définition des principales notions hérésiologiques abordées par l’inquisiteur, suivie de sa biographie et de sa présentation des trois principales hérésies qu’il a eu à combattre. L’étude de la structure du Livre des sentences sera quant à elle composée de l’analyse de la forme des sermons, de l’analyse comparative de cet ouvrage avec d’autres approchants et de l’étude du discours de Bernard Gui. Ensuite, le présent mémoire présentera l’Inquisition Languedocienne, tant dans sa procédure que dans sa place dans le Livre des sentences. L’étude de la procédure inquisitoriale se composera de celle de l’enquête, ou inquisitio, de la place des assesseurs dans la détermination des peines et de l’importance des serments dans l’application des peines. L’étude de la place de l’Inquisition dans le Livre des sentences se composera de l’analyse statistique des sentences, de la répartition géographique des lieux où sont prononcés les sermons et des condamnés, et du parcours d’individus caractéristiques des condamnés. Enfin seront étudiés les condamnés, par l’analyse de la place de chacune des trois principales hérésies dans le Livre des sentences et par celle des cas exceptionnels. Les trois principales hérésies sont le Catharisme, le Valdéisme et le Béguinisme. Les cas exceptionnels seront celui du seul condamné de l’hérésie dite des pseudo-apôtres, celui du Judaïsme en général et du Talmud en particulier, et celui du Franciscain Bernard Délicieux.


1 Bernard Gui, Liber Sententiarum Inquisitionis Tholosanae, Le Livre des Sentences de l’inquisiteur Bernard Gui (1308-1323), Annette Pales-Gobilliard (ed.), deux volumes, Paris, 2002.

2 P. Van Limborch, Historia Inquisitionis, cui subjungitur Liber Sententiarum Inquisitionis Tholosanae ab anno Christi MCCCVII ad annum MCCCXXIII, Amsterdam, 1692.

3 R. Fédou, Lexique historique du Moyen Age, Paris, 1995 (1980).

4 M.H Vicaire l’affirme à la page 70: M.H. Vicaire, “Rencontre à Pamiers des courants vaudois et dominicains (1207)”, dans M.H. Vicaire, Les Prêcheurs et la vie religieuse des pays d’Oc au XIIIe siècle, Recueil d’articles des cahiers de Fanjeaux 2 à 25, Toulouse, 1998.

5 J. Duvernoy, L’histoire des cathares, Toulouse, 1979, pp. 258 et 259.

6 J.L. Biget, “Hérésie, politique et société en Languedoc vers 1120-vers 1320”, dans J. Berlioz, Le pays cathare: les religions médiévales et leurs expressions méridionales, Paris, 2000, pp. 24 et 25.

7 Les accusés pouvaient récuser certains témoins comme étant ennemis personnels car cela pouvait fausser leur témoignage. Voir pour cela: Bernard Gui, De Practica Inquisitionis, le Manuel de l’inquisiteur, deux volumes, G. Mollat (trad.), Paris, 1964; et: Nicolau Eymerich et Francisco Peña, Manuel des inquisiteurs, Paris-La Haye, 1973.

8 Guillaume de Puylaurens, Chronique, Paris, 1976, p. 138.

9 J. Duvernoy, “L’acception ‘haereticus’ (iretge) = ‘Parfait cathare’ en Languedoc au XIIIe siècle”, dans W. Lourdaux et D. Verhelst, The Concept of Heresy in the Middle Ages (XI th - XIII th centuries), Louvain-La Haye, Pays-Bas, 1976, pp. 198-210.

10 L. Albaret, L’Inquisition, rempart de la foi?, Evreux, 1998, pp. 32-40.

11 Sur 30 000 personnes interrogées et 3 000 fortement condamnées. J. Duvernoy, “La procédure de répression de l’hérésie en Occident au Moyen Age”, dans Heresis n°6, juin 1986, p. 50.

12 “simpliciter et de plano, absque advocatorum et iuditiorum strepitu et figura”, dans Bernard Gui, Practica..., (Mollat), op. cit., tome I, p. LII.

13 P. Epinoux, “Une réponse à l’hérésie: Dominique et les Dominicains”, dans J. Berlioz (dir.), Le pays cathare: les religions médiévales et leurs expressions méridionales, Paris, 2000, pp. 101 à 121.

14 J. Duvernoy, L’Inquisition en Quercy: le registre des pénitences de Pierre Cellan (1241-1242), Castelnau-la-Chapelle, 2001.

15 Bernard Gui, Liber sententiarum..., op. cit., p. 9.

16 Jacques Fournier, Le registre d’Inquisition de Jacques Fournier, évêque de Pamiers (1318-1325), J. Duvernoy (trad.), 3 volumes, Toulouse, 1965.
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