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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 18:26

3) Bernard Délicieux

Le sermon du 8 décembre 1319 est entièrement consacré à la sentence rendue à l’encontre du Franciscain Bernard Délicieux. Ce sermon a comme particularité qu’il est le seul à ne pas être prononcé par Bernard Gui. En effet, les deux clercs chargés de l’enquête et de la proclamation de la sentence contre Bernard Délicieux sont deux évêques: Jacques Fournier, évêque de Pamiers, et Raimond, évêque de Saint-Papoul. Leur mission leur fut confiée par le pape Jean XXII. Pourquoi cette procédure exceptionnelle? Trois accusations graves portées à l’encontre du Franciscain répondent à cette question: il est accusé d’avoir participé à l’empoisonnement du pape Benoît XI, d’avoir fomenté un complot visant à retirer les villes de Carcassonne et d’Albi du royaume de France, en leur donnant un autre suzerain, et d’avoir aidé des hérétiques à échapper aux procédures inquisitoriales. Son cas est donc triplement grave: il est accusé de s’en être pris à la fois à la papauté, à la couronne de France et à l’Inquisition. Le cas de Bernard Délicieux est donc exceptionnel et concentre donc l’attention particulière de Jean XXII, comme en témoignent les allusions à une enquête préliminaire faite par la Curie elle-même:

“C’est pourquoi ce même seigneur pape, tant sous sa bulle qu’aussi sous les sceaux des différents juges chargés, depuis longtemps déjà, de ces sujets transmis par lui à la curie romaine” (propter quod idem dominus papa super predictis omnibus et multis aliis articulis, tam sub bulla sua quam etiam sub sigillis diversorum judicum super eisdem articulis jamdudum in Romana curia) 235
“Tant lui que nous, avons reçu en ce lieu de la part du seigneur pape avec déférence, comme il convient, lesdites lettres apostoliques ainsi que les articles et les procédures faites à ladite Curie à leur sujet.” (convenientibus et dictis apostolicis litteris, articulis etiam et processibus factis in dicta curia super eis reverenter, ut decuit, ibidem receptis ac sibi et nobis ex parte dicti domini pape) 236

Bernard Délicieux est né à Montpellier vers 1260 237. Il fit vraisemblablement se études au sein du couvent Franciscain de cette ville dépendant de la couronne de Majorque. C’est là qu’en 1270 enseignait Pierre Déjean-Olieu. Il y a donc de fortes chances que Bernard Délicieux y ait suivi ses cours, et qu’il ait rencontré Arnaud de Villeneuve, qui allait devenir un grand défenseur des Spirituels, car celui-ci y suivait des cours de médecine. Bernard fit sa profession de foi en 1284, mais sa carrière nous est inconnue jusqu’en 1297, date à laquelle il va à la rencontre de la Curie, accompagné du procureur de l’ordre, afin de défendre le cas d’un certain Castel Faure, accusé d’hérésie par l’Inquisition. Lorsque l’Inquisiteur Nicolas d’Abbeville se rend à Carcassonne 238, en 1300, demander que soit déterré du cimetière du couvent le corps de ce Castel Faure, il est reçu par Bernard Délicieux, qui avait déménagé à Carcassonne, et qui s’oppose à cette demande. En 1301, le Franciscain est nommé lecteur, et en 1310 il prend une retraite à Béziers, où il jouissait d’un certain prestige du fait de ces messes quotidiennes, dans lesquelles il défend ardemment les Spirituels. Nous le voyons, Bernard Délicieux, bien que conventuel, est très proche des Béguins et se met en danger pour les aider.

Et cette action en faveur du tiers-ordre Franciscain le conduit à s’opposer à l’activité de l’Inquisition. Ainsi, il remet en cause la validité des aveux obtenus au moyen de la torture. Il va même jusqu’à affirmer, devant Philippe le Bel, lorsque celui-ci se rend à Toulouse au début de l’année 1304, que “les saints Pierre et Paul n’auraient pu se défendre de l’hérésie s’ils avaient vécu au moment où on enquêtait à leur sujet selon la méthode observée par les inquisiteurs (beati Petrus et Paulus ab heresi deffendere se non possent, si viverent dum tamen inquireretur cum eis per modum ab inquisitoribus observatum) 239. Il accusa également un inquisiteur de Carcassonne d’avoir rédigé un faux document destiné à appuyer son activité inquisitoriale dans cette commune. Les évêques chargé de l’enquête à l’encontre du Franciscain ont retranscrit un passage d’un de ses prêches, ou du moins ce qu’ils estimaient en être la teneur:

“Voyez ce que ces Prêcheurs sont capables de faire contre de simples citoyens puisqu’ils ont fait confectionner un document falsifié et dangereux contre une si grande communauté!” (Videte quid possunt isti predicatores facere contra singulares personas quod contra tantam communitatem sic falsum et perniciosum confecerint instrumentum) 240
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 18:28

Nous voyons bien là l’occasion pour le Franciscain de lutter contre les Dominicains, tant la concurrence est exacerbée entre les deux ordres. Mais cette lutte contre l’Inquisition me pousse, comme Charles de la Roncière, historien du Moyen Age, à poser la question de savoir si les contemporains de l’Inquisition la concevait comme un abus. En effet, il s’agit dès lors de comprendre comment ce tribunal était accepté par ceux qui la vivaient au quotidien. Cet axe de recherche manque encore cruellement d’analyses, mais celle de Charles de la Roncière s’est efforcée d’en ouvrir la voie. Il retire de ses recherches 241 la conclusion que toutes les critiques faites contre l’Inquisition sont axées non pas sur le principe même de juger les hérétiques, ni sur le principe de la torture, ni même sur les bûchers, mais uniquement sur l’arbitraire de certains jugements et sur les erreurs de procédures. Ce n’était donc pas l’Inquisition elle-même qui était remise en cause par les critiques mais les inquisiteurs. Voici, pour exemple, ce que Charles de la Roncière dit de Bernard Délicieux:

“Et pourtant, à le lire, ou à l’entendre, jamais il ne met positivement en cause l’existence même de l’Inquisition, à ses yeux pourtant si dévoyée. Devant le roi de France, en 1304, il fait clairement la distinction: si l’activité des inquisiteurs est irréprochable, il faut les louer et les récompenser; c’est le mal de l’injustice qu’il convient d’extirper. Le remède, suggère-t-il plus tard aux cardinaux, consisterait à soumettre les inquisiteurs au contrôle des évêques, ainsi responsables de leur diocèse, conformément au droit canon, d’une procédure inquisitoriale qui serait désormais efficace et acceptée de tous, bûchers compris, comme n’importe quelle autre justice pénale, parce que gérée dans l’équité.“ 242

Afin de combattre plus efficacement ces mauvais inquisiteurs, Bernard Délicieux s’efforce de s’assurer le soutien des consuls des trois communes d’Albi, Carcassonne et Cordes. Cette dernière se voit condamnée lors du sermon du 28 juin 1321, sous le titre de “Réconciliation du château de Cordes” (Reconsiliacio castri de Cordua) 243. Comme nous pouvons le voir grâce au texte original, Annette Pales-Gobilliard a fait une petite erreur de traduction. Cordes n’est pas un château mais un castrum, que nous pourrions traduire par “bastide”, et définir schématiquement comme un village fortifié. L’aide apportée par les consuls de ces communes eut pour conséquence une procédure inquisitoriale à l’encontre du castrum de Cordes, alors que la ville d’Albi est absoute par l’évêque Béraud le 11 mars 1319. Rien ne vient expliquer cette différence de traitement dans le Livre des sentences. On ne peut que supposer que les révoltes à l’encontre de l’Inquisition qui eurent lieu à Cordes aient été autrement plus importantes qu’à Albi, et que la faiblesse des révoltes dans la ville de Carcassonne explique l’absence de toute trace d’absolution.

Le sermon de la réconciliation du castrum de Cordes suit un schéma différent des autres sermons. Une longue introduction place le contexte de ce sermon. Les consuls et la population de Cordes sont convoqués sur la place du marché. Les premiers, ainsi que les inquisiteurs Bernard Gui et Jean de Beaune, sont cités. Une supplique (supplicacio 244) est alors prononcée par les consuls, qui demandent à voir leurs fautes pardonnées. S’ensuit l’absolution (absolucio 245) et les pénitences (penitencie 246), selon le même schéma qu’une confession, ce que vient confirmer la déclaration de Bernard Gui selon laquelle la contrition des habitants de Cordes semble vraie. La pénitence tient d’ailleurs compte de cette contrition non feinte, puisque le castrum est condamné à construire

“une chapelle sur un lieu et d’une structure par la largeur, la longueur, l’importance ou l’étendue, dont le lieu, la structure ou l’étendue ne soient pas préjudiciables à l’église paroissiale mère dans ledit château de Cordes, et aussi de pourvoir, pour un prêtre desservant, aux contributions indispensables et convenables à sa subsistance” (capellam unam sine prejudicio matricis ecclesie parrochialis in dicto castro de Cordua in loco et in forma, latitudine, longitudine seu magnitudine sive quantitate de quibus loco et forma seu quantitate, necnon de providendo alicui ministro sacerdoti de neccessariis et condecentibus stipendis victui suo.) 247
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 18:29

Cette alliance avec les consuls des communes d’Albi, Carcassonne et Cordes permettent à Bernard Délicieux de peser sur la procédure inquisitoriale afin d’en influencer le fonctionnement dans le sens d’une moins grande toute-puissance de l’inquisiteur:

“Et aussi à cause de cela, ce même frère Bernard, en s’attachant à exposer lesdites plaintes, à cause de ce qu’il a fait, dicté, conseillé, a tantôt proposé par lui-même et tantôt conseillé et ordonné que soient proposées par d’autres des instructions, et des ordonnances émanèrent aussi des puissances séculières par lequel le pouvoir des inquisiteurs, l’Office et l’exercice de ce même Office furent restreints et notablement entravés.” (Propter illa etiam que idem frater Bernardus, dictas prosequendo querelas, fecit, dictavis, consuluit et quandoque per se proposuit et interdum per alios consuluit et ordinavit proponi mandata litteratoria et ordinationes etiam a secularibus potestatibus processerunt per que inquisitorum potestas ac officium et ejusdem officii exercicium restricta fuerunt et notabiliter impedita) 248

Ceci est bien entendu présenté par les évêques comme une volonté de bloquer l’action de l’Inquisition afin de protéger les hérétiques. Ils affirment que ces actions ont permit le retour, dans le Languedoc, de ombreux hérétiques qui ne se sentent plus menacés par l’Office inquisitorial. Ils donnent un exemple (dont le lieu et la date ne sont pas précisés) où nombre d’accusés sont jugés par les tribunaux temporels et relâchés pour la plupart, et où de nombreux condamnés au Mur sont transférés des prisons inquisitoriales vers les prisons communales. Ainsi, les conseils communaux de ces trois communes se sont mis à se substituer à l’Inquisition. Pour ce faire, la commune d’Albi créa des syndics, des tribunaux laïcs chargés des affaires d’hérésie:

“Finalement, ce même frère Bernard a commis le crime de mensonge dans une suite effrénée d’affaires de ce genre alors que les consuls et la communauté d’Albi avaient institué des syndics résolus à poursuivre ces mêmes affaires.” (Denique idem frater Bernardus circa effrenatam prosecutionem negotiorum hujusmodi crimen falsi conmisit, nam, cum consules et conmunitas Albiensis certos constituissent sindicos super eisdem negociis prosequendis) 249

Le cas du Franciscain atteint son apogée avec le complot qu’il organisa avec les consuls de Carcassonne et d’Albi. Pendant des mois, il reçut dans sa chambre, dans le couvent Franciscain de Carcassonne, des représentants de ces deux communautés afin de mettre en place un nouveau suzerain pour ces deux communes. En effet, Philippe le Bel s’est efforcé de s’assurer le calme en Occitanie afin d’avoir les coudées franches pour faire la guerre dans les Flandres. C’est pour cette raison que, de Noël 1303 à janvier 1304, il vient à Toulouse, où Bernard Délicieux lui expose ses doléances face à l’Inquisition, celles-ci recevant une réponse favorable. Puis, en février 1304, Philippe le Bel se rend, pour les mêmes raisons, à Béziers et à Montpellier. Mais, une fois la guerre contre la Flandre gagnée, le roi de France se tourne à nouveau vers le sud de son royaume, avec la ferme intention de renforcer son pouvoir en ces lieux, avec l’appui de l’Inquisition.
Bernard Délicieux déclare donc aux consuls de Carcassonne et d’Albi qu’il n’est plus possible de faire confiance en Philippe le Bel et qu’il est nécessaire de se trouver un suzerain moins proche de l’Inquisition. Le Franciscain jette son dévolu sur Ferrand de Majorque, ou plutôt Ferdinand I (1278-1316), roi de Majorque, prince d’Achaïe et de Morée, dont le territoire comprend notamment la commune de Montpellier. Bernard Délicieux se rend à la cour du monarque et lui soumet son offre. Il lui assure lui apporter la fois suivante des lettres signées de la main des consuls de Carcassonne et d’Albi. Mais Philippe le Bel prend connaissance du complot et la répression est sévère, comme le décrient les deux évêques, avec de grand effets dramatiques:

“Depuis la mise en oeuvre de cette trahison, venue à la connaissance du roi et de ses officiers, des pendaisons d’un grand nombre d’hommes, de nombreuses autres condamnations, des incarcérations, des évasions, d’autres calamités et scandales se sont amplifiés et ne cessent d’augmenter encore.” (Ex tractatu autem prodicionis hujusmodi in noticiam dicti regis et officialium suorum deducto multorum suspendia hominum multeque alie condempnationes ac incarcerationes ac fuge et mala alia et scandala processerunt et procedere nondum cessant.) 250
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 18:32

Bernard Délicieux échappe à cette répression mais est arrêté le 27 mai 1318, quatre ans après la mort de Philippe le Bel, lorsqu’il se rend à Avignon, prenant la tête de soixante-et-un Spirituels des couvents de Béziers et de Narbonne, afin d’aller défendre les intérêts de leur communauté contre ceux des conventuels devant le pape Jean XXII. La première audition du Franciscain a lieu le 12 juillet suivant, son procès débute à Castelnaudary le 3 septembre 1319 et il est condamné lors du sermon du 8 décembre 1319 (celui retranscrit dans le Livre des sentences), à Toulouse. Après s’être confessé de ses fautes, Bernard Délicieux est dégradé de son statut clérical et est condamné au Mur strict.

Cependant, il est innocenté de l’accusation d’empoisonnement du pape Benoît XI et les deux évêques envoient une lettre à l’inquisiteur de Carcassonne Jean de Beaune, qui est chargé de faire appliquer la sentence du Mur, afin de lui demander de ne pas appliquer cette peine, à cause du grand âge du Franciscain (79 ans) et de ses mains qui tremblent. Mais c’est le pape Jean XXII qui répond, “réclamant que la rigueur de la sentence et de la pénitence portées à l’encontre de ce B. Délicieux soit intégralement conservée.” (mandas quod circa eundem B. Deliciosi rigor late sentencie et penitencie integraliter reservaretur.) 251


235 Bernard Gui, Liber sententiarum..., op. cit., pp. 1184-1185.

236 Ibid., pp.1186-1187.

237 J. Duvernoy, Le procès de Bernard Délicieux, Toulouse, 2001, pp. 6-7.

238 Voir “Le Béguinisme”, p. 99.

239 Bernard Gui, Liber sententiarum..., op. cit., pp. 1188-1189.

240 Ibid., pp. 1190-1191.

241 C. de la Roncière, “L’Inquisition a-t-elle été perçue comme un abus au Moyen Age?”, dans G. Audisio (dir.), Inquisition et pouvoir, Aix-en-Provence, 2004, pp. 11 à 24.

242 Ibid., p. 17.

243 Bernard Gui, Liber sententiarum..., op. cit., pp. 1218-1219.

244 Ibid., pp. 1220-1221.

245 Ibid., pp. 1224-1225.

246 Ibid., pp. 1226-1227.

247 Ibid., pp. 1228-1229.

248 Ibid., pp. 1190-1191.

249 Ibid., pp. 1192-1193.

250 Ibid., pp. 1196-1197.

251 Ibid., pp. 1204-1205.
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