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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:41

3) Les hérésies selon Bernard Gui

Bernard Gui combat trois hérésies pendant la période couverte par le Livre des sentences (1308-1323): les Cathares, les Vaudois et les Béguins. Dans cette partie, je suivrai l’ordre chronologique d’apparition des membres des trois hérésies dans l’ouvrage51. En effet, bien que l’on puisse observer des Cathares tout au long de l’ouvrage, les Vaudois n’apparaissent qu’à partir du sermon du 7 mars 1316 (soit le onzième sermon) et les Béguins à partir de celui du 30 septembre 1319 (soit le douzième sermon). Les trois hérésies seront donc présentées, comme Bernard Gui l’a fait lui-même, dans l’ordre suivant: Cathares, puis Vaudois, et enfin Béguins.

La partie du Manuel de l’inquisiteur concernant le Catharisme voit les membres de cette hérésie appelés “Manichéens du temps présent” 52. En effet, le dogme Cathare a beaucoup évolué tout au long de son histoire et, encore à l’époque de Bernard Gui, plusieurs courants s’en dégageaient: le Catharisme Languedocien et le Catharisme Lombard en étaient les deux principaux, mais d’autres courants existaient également. Mais surtout, le Parfait Pierre Autier, après avoir été ordonné Parfait en Lombardie, s’est efforcé de donner un second souffle à cette hérésie, avec un dogme plus simple et moins complet. L’utilisation du terme “Manichéens du temps présent” s’explique donc tout d’abord par le fait que Bernard Gui décrit le dogme prêché par le Parfait Pierre Autier, mais également par le fait que l’Eglise en général et l’Inquisition en particulier avaient pris pour habitude d’assimiler les hérésies auxquelles ils étaient confrontés à des hérésies plus anciennes, notamment celles dénoncées par Saint Augustin 53. Inspirée de la religion perse, le Mazdéisme, le Manichéisme était une hérésie issue de Manès, qui concevait la religion chrétienne de façon dualiste. Pour lui, il existait deux dieux, chacun ayant conçu sa part de l’univers. Le dieu bon était créateur des choses de l’esprit, parmi lesquelles se trouve l’âme. Le dieu mauvais était créateur de la matière. Pour espérer atteindre le Paradis, il fallait donc se détacher de ses besoins matériels et se consacrer à la spiritualité. Bernard Gui montre que le dogme cathare se rapproche fortement de cette théologie:

“Ils distinguent donc deux créateurs, Dieu et le diable, et deux créations, l’une des êtres invisibles et immatériels, l’autre des choses visibles et matérielles. (Sicque duos ponunt creatores, Deum videlicet et dyabolum, et duas creationes, unam scilicet rerum invisibilium et incorporalium et alteram visibilium et corporalium)” 54
Cette concordance théologique a poussé de nombreux historiens à considérer le Catharisme comme étant l’héritier direct du Mazdéisme, le lien étant fait par une hérésie orthodoxe, le Bogomilisme, qui, chassée de l’empire byzantin au XIe siècle, se serait installée dans les Balkans et aurait développé son influence en Occident. Déjà en 1912, M.J. Guiraud définit donc ainsi l’hérésie cathare: “Puisées dans la philosophie égyptienne, dans le bouddhisme et dans le mazdéisme, rajeunies par la gnose, teintées par l’esprit inquiet de Manès, de certaines pratiques chrétiennes, les doctrines cathares n’en sont pas moins, au fond, réellement païennes. [...] Le Catharisme n’est pas autre chose que le manichéisme, transmis depuis les premiers siècles jusqu’au XIIIe.” 55 G. Mollat qualifie en 1964 cette théorie de “trop radicale” 56, bien qu’il reconnaisse les fortes similitudes entre le Manichéisme et le Catharisme. Ce débat, entre la thèse d’une filiation directe et une originalité plus ou moins influencée, a toujours lieu, la réponse se trouvant vraisemblablement entre les deux. Il est cependant clair qu’un tel débat n’a pas eu lieu au XIVe siècle et que l’opinion de Bernard Gui est claire: les Cathares constituent un nouvel avatar du vieil ennemi manichéen. Bernard Gui décrit ensuite le rejet qu’ont les Cathares de l’institution ecclésiastique catholique, considérant que leur propre Eglise est la seule légitime à représenter le Christ sur terre. Vraisemblablement choqué, il donne liste d’insultes cathares qualifiant l’Eglise catholique: “Ils l’appellent impudemment mère des fornications, grande Babylone, courtisane et basilique du diable, synagogue de Satan.” (appelant matrem fornicatorum, Babilonem magnam, meretricem et basilicam dyaboli et Sathane synagogam.) 57.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:41

Il poursuit en faisant la liste des points de dogme Cathares, éléments permettant à un inquisiteur de les reconnaître pour mieux les pourchasser et les combattre. Ainsi, il dit d’eux qu’ils nient tous les sacrements de l’Eglise catholique, en imaginant d’autres pour les remplacer. Le baptême de l’eau est ainsi remplacé par le consolamentum du Saint Esprit. Le pain eucharistique est remplacé par le “pain béni”, ou “pain de la sainte oraison”, qui est rompu et partagé au début de chaque repas. Bernard Gui place donc les Cathares dans le rôle de pâles copies des catholiques, oubliant ou ignorant ainsi les fortes ressemblances entre leurs pratiques et celles de l’Eglise primitive, comme celle du pain béni, similaire à la cérémonie de l’agape. Suivant cette même logique, il affirme que le sacrement de pénitence est remplacé par l’entrée dans la secte cathare, celle-ci étant censée laver l’hérétique de tous ses péchés. Il fait bien entendu allusion au consolamentum. Ceci montre que, pour appuyer sa thèse, il divise les divers aspect des rituels cathares pour les calquer sur le schéma de ceux des catholiques, mais surtout que ne sont considérés comme hérétiques que les Parfaits cathares eux-mêmes. En effet, la population cathare était divisée entre “Parfaits”, qui avaient pratiqué le rite du consolamentum et devaient avoir une vie modèle, et les “Imparfaits”, ceux qui croyaient au dogme cathare sans avoir franchi le cap de ce rituel. Ces derniers sont simplement appelés “croyants” par Bernard Gui, n’étant donc pas considérés comme des hérétiques, mais comme leurs simples complices.

Il conclue sa liste en décrivant quatre points du dogme catholique que les Cathares dénoncent. Ainsi, ils nient la validité du mariage, de l’incarnation du Christ, de la maternité de Marie et de la résurrection des corps lors du Jugement Dernier. Considérant que la matière est création du dieu mauvais, le diable, Dieu ne peut donc être venu aux hommes sous une forme matérielle et mis au monde par un être matériel. Selon la même logique, ceux qui ont mérité le Paradis ne peuvent pas retrouver un corps qui, par définition, est corrompu, et la seule union valable est pour eux celle avec Dieu. Ainsi, en voulant calquer le système cathare sur celui des sacrements catholiques, Bernard Gui obtient une liste qui en soi est juste, mais qui ne permet pas de comprendre le fond de la théologie Cathare. Il comprend cependant bien les liens de dépendance tissés entre les Imparfaits et les Parfaits, car il conclue sa description en conseillant aux inquisiteurs qui le lisent d’être particulièrement durs avec ces derniers afin de faire craquer les autres 58, montrant bien ainsi son expérience en la matière.

Toujours dans un soucis de faciliter les traque des hérétiques, Bernard Gui décrit ensuite les rites qui ponctuent la vie courante des Cathares. Ainsi, il en dit qu’ils ne prêtent jamais serment, observent trois périodes de jeûne par an, en plus des trois jours quotidiens, qu’ils ne mangent ni oeufs, ni fromage, ni viande (le poisson est cependant autorisé), qu’ils ne tuent jamais d’animaux, et qu’ils étaient chastes. Il ajoute une description plus approfondie du rituel du “pain béni” et décrit celui du melioramentum, salut rituel qu’un Imparfait fait au Parfait lorsqu’il croise son chemin. Il continue avec la description du rituel de la covenensa, pacte passé entre l’Imparfait et le Parfait pour qu’il pratique sur ce dernier, lorsqu’il s’apprête à mourir, celui du consolamentum. On retrouve ici le soucis d’exactitude et de précision de Bernard Gui. Ainsi, il poursuit sa description de l’hérésie par celle du rituel du consolamentum, de manière précise, en précisant les paroles qui sont alors prononcées. Cela permet à l’inquisiteur qui s’inspire de cet ouvrage de poser des question très précises lors des interrogatoires. A cela, il ajoute une mise en garde contre les méthodes de prédication des Cathares, paraissant selon lui être de premier abord de bons chrétiens, puis révélant peu à peu leurs erreurs confessionnelles. Certains éléments importants ressortent dans cette partie. Bernard Gui accuse les Parfaits de vendre leurs sacrements et leur huile sainte, portant ainsi la grave accusation de simonisme. Il explique que les Cathares refusent d’adorer la Croix, ceux-ci affirmant que “personne n’adore ou ne vénère le gibet auquel son père, un parent ou un ami, aurait été pendu” (nullus adorat aut veneratur patibulum in quo pater aut aliquis propinquus vel amicus fuisset suspensus) 59. Enfin, ils nient la valeur de la confession faite aux prêtres, ceux-ci étant eux-mêmes pêcheurs, et ils lisent les évangiles en langue vulgaire. Il conclue sa présentation avec une longue liste de questions très précises à poser lors de l’interrogatoire d’un Cathare, portant notamment sur le fait d’avoir rencontré un Parfait et pratiqué un des rituels cathares. Il déconseille bien de ne pas poser systématiquement toutes ces questions à tous les Cathares interrogés, mais plutôt de les choisir en fonction des particularités de chaque situation. Tous les éléments nécessaires à la traque et à l’interrogatoire des Cathares ayant été réunis, Bernard Gui se préoccupe ensuite des Vaudois.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:42

Il commence leur description par un petit résumé de leurs origines. Il décrit le personnage de Valdo, ou Valdès (nomine Valdesius seu Valdensis 60), riche marchand lyonnais ayant en 1170 abandonné toutes ses richesses pour se lancer dans la prédication. Il explique que, s’étant lancés dans cette activité sans connaissance théologique préalable et sans avoir le statut de clerc, les Vaudois se seraient vus interdire la prédication par Jean aux Belles-Mains, archevêque de Lyon. Il néglige ou ignore que Valdo avait auparavant demandé, avec succès, au pape le droit de prêcher, autorisation qui avait été elle-même ignorée par l’archevêque. Bernard Gui ajoute que, persistant dans leur erreur, les Vaudois s’étaient vus déclarés hérétiques lors du concile de Latran IV (1215), et s’étaient alliés aux autres hérésies présentes dans le Languedoc. Là encore, la réalité est tronquée, volontairement ou non, car on sait depuis que les Vaudois ont été pendant tout le XIIIe tolérée, malgré la condamnation de Latran IV, du fait de leur soutien efficace contre les Cathares. Toujours dans le soucis d’exhaustivité qui le caractérise, Bernard Gui précise les trois dénominations dont ces hérétiques sont affublés: les Vaudois (du nom de leur fondateur), les Pauvres de Lyon (du nom du lieu où il est originaire), et les “ensavatés”, car les premiers Vaudois portaient “un signe spécial affectant la forme d’un bouclier sur le dessus de leurs souliers” (speciale signum in modum quasi scuti in parte superiori sotularium deferebant) 61. Cette imprécision est si rare chez Bernard Gui que cela témoigne incontestablement de l’absence d’un tel signe chez les Vaudois qu’il a rencontrés.

Il poursuit sa description par la liste des erreurs dogmatiques des Vaudois, précisant dès le titre qu’il ne s’agit que des erreurs qui lui sont contemporaines, pas de celles des premiers Vaudois (“Des erreurs des Vaudois actuels (autrefois, ils en ont eu plusieurs autres)” (De erroribus Valdensium moderni temporis, quia olim plures alios habuerunt) 62 ). Il reprend le même schéma de liste d’erreurs, sans en expliquer la logique générale. Ils nient la validité du pape et de l’Eglise, celle des serments, celle de tout jugement qu’un humain porterait sur un autre, celle des sanctions canoniques, celle du sacrement de la pénitence, celle des indulgences, et celle de l’eucharistie. Pour les Vaudois, la validité d’un clerc vient de sa sainteté, pas de son statut, ce qui explique leur rejet de l’institution que constitue l’Eglise et des sacrements dont elle a le monopole (dont la pénitence, et l’eucharistie). Pour eux, seul Dieu peut juger les hommes, pas les hommes eux-mêmes, ce qui explique leur rejet des serments, des jugements, des sanctions canoniques et des indulgences. Le Valdéisme a été considéré comme hérétique à partir du moment où Valdo et les siens, tous des laïcs, se sont mis à prêcher. Ces rejets du clergé et du monopole dont il dispose provient de cette époque. En d’autres termes, les Vaudois se sont radicalisés de plus en plus au fur et à mesure qu’ils ont été marginalisés par l’Eglise.

D’autres éléments de cette radicalisation dogmatique se font jour lorsque Bernard Gui décrit les rites Vaudois. La messe s’inspire fortement du passage évangélique de la Cène, où sont partagés le pain et le vin. Mais ce fonctionnement ne fit pas l’unanimité, car il explique, sur un ton tout à fait neutre, qu’a eu lieu une scission sur ce point entre Pauvres lombards et Pauvres citramontains. Dans une volonté de retrouver le mode de vie des apôtres, ils nie la réalité des miracles des saints, le soutien que ceux-ci pourraient apporter aux croyants, et la validité de leurs fêtes:

“Ces trois derniers points, ils ne la dévoilent pas indifféremment à tous leurs “croyants”, mais en réserve la connaissance aux “parfaits”; c’est à savoir: l’irréalité des miracles des saints, l’abandon des suffrages qu’on a coutume de leur adresser, l’inobservation des fêtes, en dehors pourtant du dimanche, des fêtes de la bienheureuse Vierge Marie et, ajoutent d’aucuns, de celles des apôtres et des évangélistes. (Hec tamen tria non manifestant indefferenter credentibus suis, set inter se perfecti illius secte sic tenent, scilicet de miraculis sanctorum, quod non sint vera, et de suffragiis eorum non implorandis et de festis non colendis preter diem dominicum et festa beate Marie Virginis, et aliqui addunt apostolorum et evangelistarum.)” 63
Cet extrait nous montre deux éléments intéressants. tout d’abord, Bernard Gui affirme que les Vaudois cachent une partie de leurs croyances lors de leurs prédications, pour montrer qu’ils trompent ceux qui croient en leur pureté. De plus, il nomme “parfaits” les Vaudois eux-mêmes, réservant le nom de “croyants” à ceux qui partagent leur foi sans entrer dans la secte. Il montre cependant que cette assimilation est trompeuse en expliquant que les Vaudois ont trois grades directement copiés de ceux de l’Eglise, diacres, prêtres et évêques, chapeautés par le “majoral”, équivalent selon Bernard Gui au pape.

Une longue liste d’éléments décrit ensuite le mode de vie des Vaudois. De celle-ci ressort surtout trois points marquants. La prière se fait à genoux incliné vers l’avant, en récitant trente à quarante fois le Pater noster. Les Vaudois sont autorisés à se marier, ce qui semble choquer particulièrement Bernard Gui: “ils accordent cependant que l’on satisfasse à l’ardeur de la passion, quelle que soit d’ailleurs la turpitude du procédé. (concedunt tamen ut urenti libidini satisfieri debeat quocumque modo turpi)” 64. Ils s’efforcent de se faire le plus discret possible pour échapper aux autorités et enseignent à leurs “croyants” (selon l’usage que Bernard Gui fait du mot credentibus) de ne jamais dénoncer qui que ce soit dans leurs rangs. Bernard Gui conclue cette description du mode de vie vaudois en retranscrivant le raisonnement des Vaudois pour justifier le fait qu’ils se cachent: “Et puis le Christ n’a-t-il pas dit dans l’Evangile à ses apôtres et à ses disciples de passer d’une cité à une autre, lorsqu’on les persécuterait pour le nom de Dieu. Aussi bien, il ne font eux-mêmes que fuir la persécution de leurs adversaires. (et quia Christus dixit in evangelio apostolis et discipulis suis quod, quando essent persecuti propter nomen Dei quod fugerent de una civitate in aliam civitatem. Propter hoc ipsi, ut dicunt, fugiunt persecutionem adversariorum.)” 65 Ceci se poursuit par la description de la manière de prêcher des Vaudois, partie reprenant pour l’essentiel les critiques faites précédemment. Le seul élément véritablement original de cette partie est le point de dogme Vaudois selon lequel une personne mourant va directement au Paradis ou en Enfer, niant ainsi le Jugement Dernier et le Purgatoire.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:42

Bernard Gui se penche ensuite dans les deux parties suivantes, “Des fallacieuses et astucieuses réponses sous lesquelles ils se dissimulent” (De astuciis et fallaciis quibus se contengut in respondendo 66) et “De leurs sophismes et équivoques” (De sophismatibus et duplicitatibus verborum ipsorum 67), sur l’élément le plus intéressant de son analyse des Vaudois: comment, pour un inquisiteur, éviter les pièges qu’ils tendent lors des interrogatoires pour éviter de trahir leurs préceptes sans pour autant les révéler à l’inquisiteur. Un extrait est particulièrement parlant:

“Si les hérétiques sont poussés dans leurs derniers retranchements, ils réfléchissent longuement, cherchent des détours, afin de ne pas répondre directement, quand ils craignent d’être découverts; ils répondent à côté de la question, disent qu’ils sont des gens simples, ne sachant pas répondre avec intelligence. (Quando autem interrogationibus artantur aut morose deliberant quomodo callide respondeant non directe, ubi timent deprehendi, aut ad aliud quam ad principalem interrogationem respondent aut dicunt se esse simplices aut nescire sapienter respondere.)” 68
Bernard Gui met fortement l’accent sur la prévention de ce genre de méthodes en citant de nombreux exemples, pour que les inquisiteurs qui le lisent sachent éviter de tomber dans ce genre de pièges. Ainsi, il consacre une partie entière aux sophismes faits par les Vaudois sous la forme de formulations à double sens:

“Un autre sophisme consiste à introduire une condition. Interrogez-les: “Crois-tu ceci ou cela?” - “S’il plaît à Dieu, répondent-ils, je le crois bien.” Mais ils ont la conviction que cette croyance ne plaît pas à Dieu. (Item est aliud genus sophisticandi per conditionis adjectionem, ut, cum queritur: “Credis hoc vel illud?”, respondent: “Si Deo placet, ego bene credo hoc vel illud”, intelligentes quod Deo non placet quod ipsi credant.”69)
Tout comme pour les Cathares, Bernard Gui conclue son analyse des Vaudois par une liste de questions précises à leur poser, concernant notamment les personnes que le suspect a rencontrées et sur ses croyances. Il poursuit avec son analyse des Béguins. Intitulée “De la secte des Béguins” (De secta Bequinorum 70), cette partie traite de ceux qui se nomment eux-mêmes Pauvres frères de la Pénitence du tiers-ordre de saint François ou Spirituels, et qui suivent radicalement la troisième règle de ce saint: la pauvreté. Groupe dissident des frère Mineurs, ou Franciscains, ils suivaient les préceptes de Pierre-Jean Olieu, mort le 14 mars 1298, originaire de Sérignan, près de Béziers, et auteur d’un commentaire sur l’Apocalypse, censé être révélé par Dieu. Ils dénonçaient la décadence de leur ancien ordre, qui avait jugé bon d’adoucir la règle de saint François. Ils refusaient ainsi toute compromission sur leur voeu de pauvreté, individuelle ou commune, et se méfiaient des études, jugées source de relâchement de l’ordre. Bernard Gui dit d’eux qu’ils furent considérés comme hérétiques depuis l’année 1315 et pourchassés comme tels à partir de l’année 1317. Portant des costumes de bure brune, avec ou sans manteau, ils se réunissent régulièrement pour faire des lectures collectives et vivent soit de la mendicité soit d’un travail manuel. Puis, Bernard Gui fait une liste de traits spécifiques grâce à quoi on peut les reconnaître: ils se saluent en se disant “Béni soit Jésus Christ”, prient encapuchonnés face contre terre, et récitent des psaumes pendant les repas.

Comme à son habitude, il poursuit avec une liste détaillée des erreurs dogmatiques de l’hérésie étudiée. Elle est ici si longue qu’il me faut la résumer sous la forme de quelques principes fondamentaux. Tout d’abord, les Béguins affirment que Jésus Christ et les apôtres n’ont rien possédé ni individuellement ni collectivement. Pour suivre véritablement l’exemple du Christ, il faut donc suivre la même logique. Cela s’applique même lorsqu’un frère Mineur passe dans un autre ordre 71. L’importance de cet élément vient du fait qu’il constitue selon eux le coeur de la règle de saint François. En effet, saint François est considéré comme le rénovateur de la vie évangélique et constitue le début du troisième âge de l’Eglise. En effet, ils considèrent que l’Eglise catholique est corrompue et souillée, et sera détruite à la fin du troisième âge de l’Eglise par Frédéric, roi de Sicile, et ses complices. Ils affirment d’ailleurs que l’Antéchrist est déjà né et s’apprête lancer une grande guerre qui tuera “un nombre considérable de chrétiens” (et fiet magna strages populorum christianorum) 72 avant de s’attaquer aux Sarrasins. Après cette destruction de l’Eglise par les envoyés de Dieu, celui-ci choisira de nouveaux apôtres, qui ne sont autres que les Béguins eux-mêmes, pour révéler sa parole et former ainsi la nouvelle Eglise du Christ. Saint François étant à l’origine du sixième âge, sa règle ne peut être changée, pas même par le pape, jugé corrompu. Les quatre Béguins qui ont été condamnés au bûcher à Marseille par l’inquisiteur franciscain Michel Lemoine en 1318 sont ainsi considérés comme des martyrs 73. Le point de dogme le plus original de cette hérésie est que le Christ était vivant alors qu’il avait été crucifié. L’apôtre Mathieu aurait été le seul à s’en rendre compte et l’aurait écrit dans son évangile. L’Eglise aurait modifié son témoignage pour éviter toute contradiction avec celui des autres apôtres.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:43

Là encore, Bernard Gui conserve la structure de description des hérésies en donnant une liste précise de questions à poser à ceux qui sont soupçonnés d’appartenir à cette hérésie. Chaque question se rapporte à un point précis du dogme de cette hérésie. Puis, expliquant quelles précautions un inquisiteur doit prendre lors de tels interrogatoires, il explique que les Béguins n’acceptent de jurer de dire toute la vérité qu’à la condition qu’ils n’aient pas à dénoncer un des leurs. Tout le travail est donc ici de les convaincre ou de les contraindre à faire ce serment sans aucune condition. Pour appuyer cette argumentation, il y ajoute une formule-type de la première sentence contre un Béguin 74 et une formule-type de sentence d’excommunication par contumace 75. Enfin, il conclue par un extrait d’un opuscule sur la mort de Pierre-Jean Olieu, où on lit ceci:

“Je ne crois pas pourtant devoir omettre ceci: peu de temps avant sa mort, après avoir reçu l’extrême-onction, en présence des frères Mineurs du couvent de Narbonne, le vénérable père déclara qu’il avait reçu toute sa science de Dieu par révélation et qu’à Paris, dans l’église cathédrale, à la troisième heure, Notre-Seigneur Jésus-Christ l’avait soudainement illuminé. (Unum autem pretermittendum non puto quod dictus pater venerabilis, circa finem sui transitus, post sacram inunctionem receptam, astante sibi conventu fratrum Minirum Narbone, dixit totam scientam suam per infusionem recepisse a Deo, et Parisius, in ecclesia, hora tertia, subito se fuisse illuminatum a Domino Jhesu Christo.)”
Ces trois hérésies sont donc très différentes les unes des autres. Le Catharisme, à la limite du Christianisme, se pose en concurrent de l’Eglise catholique. Le Valdéisme ne devient hérétique que par son rejet de la part de l’Eglise. Les Vaudois l’ont même aidé contre les Cathares. Le Béguinisme est une partie de l’ordre des Franciscains qui s’est tellement radicalisé qu’il en vient à combattre l’Eglise. Mais ces trois hérésies ne constituent pas les seuls ennemis de Bernard Gui. Il décrit trois autres types d’erreurs à combattre. Les “sorciers, devins et invocateurs de démons” 76 ne sont pas traités dans le Livre des sentences. Il y a un cas de Pseudo-apôtre 77 et une condamnation à brûler des Talmuds 78, qui seront tous deux traités plus loin.

Le Livre des sentences est la compilation des vingt-et-un sermons prononcés par le frère Prêcheur Bernard Gui en tant qu’inquisiteur de Toulouse 79. Ils couvrent une période de quinze années, allant du 3 mars 1308 au 19 juin 1323. Toutes les peines et pénitences qui ont alors été prononcées sont inscrites dans ces sermons. Il est donc nécessaire d’étudier ceux-ci afin d’en comprendre la logique.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 15:43

51 Voir “Tableau n°1: Actes de justice rendus par Bernard Gui (1308-1323), par hérésie”, dans Bernard Gui, Liber sententiarum..., op. cit., p. 1648.

52 La partie s’intitule “De manicheis moderni temporis.”. Dans Bernard Gui, Practica..., (Mollat), op. cit., Tome I, p. 9.

53 Saint Augustin, De Genesi contra Manicheos / De Genesi ad litteram Imperfectus liber, Sur la Genèse contre les Manichéens / Sur la genèse au sens littéral, livre inachevé, P. Monat (trad.), Paris, 2004.

54 Bernard Gui, Practica..., (Mollat), op. cit., Tome I, pp. 10-11.

55 M.J. Guiraud, Article “Albigeois”, dans A. Baudrillart et A. Vogt, Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Tome I, Paris, 1912.

56 Bernard Gui, Practica, (Mollat), op. cit., Tome I, p. XXXI.

57 Ibid., p. 9-10.

58 Ibid., p. 16-17.

59 Ibid., p. 26-27.

60 Ibid., p. 34-35.

61 Ibid., p. 38-39.

62 Ibid.

63 Ibid., p. 48-49.

64 Ibid., p. 50-51.

65 Ibid., p. 58-59.

66 Ibid., p. 64-65.

67 Ibid., p. 72-73.

68 Ibid., p. 70-71.

69 Ibid., p. 72-75.

70 Ibid., p. 110-111.

71 Ibid., p. 126-127.

72 Bernard Gui, Practica..., (Mollat), op. cit., Tome I, p. 148-149.

73 Ibid., p. 128-129.

74 Ibid., p. 182-183. Voir Annexe n° 1, “Formule-type de la première sentence contre un Béguin”, p. 127.

75 Tout accusé qui ne se présentait pas à l’inquisiteur après trois citations à comparaître était déclaré contumace et était excommunié, Ibid., p. 186-187.

76 Bernard Gui, Practica..., (Mollat), op. cit., Tome II, p. 20-21.

77 Ibid., op. cit., Tome I, p. 84-85.

78 Ibid., op. cit., Tome II, p. 6-7.

79 Voir Annexe n°3: “Index des sermons”, page 138.
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