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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 18:33

Dans l’introduction du présent mémoire, j’avais posé la problématique suivante: “Quelle logique conduit à l’attribution de peines et de pénitences par Bernard Gui d’après son Livre des sentences?”. Il s’agissait pour moi de comprendre ce qui avait amené à la rédaction du Livre des sentences, donc la mise à l’écrit des vingt-et-un sermons qui le composent, d’analyser le fonctionnement de la procédure inquisitoriale, y compris dans son application par Bernard Gui lors de ses quinze années d’office inquisitorial, et, enfin, d’étudier les conséquences que cette procédure avait sur les personnes, hérétiques ou non, condamnées par cet inquisiteur.

Tout d’abord, nous avons vu que le sermon général de l’Inquisition était une forme de prêche, où la structure et le vocabulaire employés étaient autant destinés à renforcer la foi de l’auditoire qu’à condamner les hérétiques. Ces condamnations, lorsque l’inquisiteur n’abandonnait pas les condamnés à la cour séculière, prenaient la forme de pénitences (pèlerinages, port des croix, ou encore Mur), qui n’était pas sans rappeler le principe de la confession, car elles tenaient compte de ses trois composantes: la contrition (l’abjuration), la confession (l’aveu) et le satisfaction (la peine elle-même). Ces pénitences étaient destinées à convaincre un hérétique d’abandonner les croyances qui déviaient du dogme Romain et qui le définissaient comme hérétique.

Puis, nous avons étudié la vie de l’auteur du Livre des sentences: l’inquisiteur Bernard Gui. Dominicain, originaire de Limoges, il était occitan, et l’usage de la même langue que celle des condamnés lui fut certainement très utile lors de son office. Bernard Gui ne brillait pas par son inventivité, et cela peut expliquer qu’il n’ait pas eu une carrière aussi importante, d’un point de vue hiérarchique, qu’il aurait pu espérer. Mais il était un esprit rigoureux, soucieux de précision et d’exhaustivité. Cela se ressent tout au long du Livre des sentences. Et ces qualités firent sans conteste de lui un grand inquisiteur. Mais il ne faut pas confondre rigueur avec froideur, car Bernard Gui aimait rire et savait faire preuve de mansuétude envers les personnes qu’il jugeait.

Auteur de la Practica inquitionis, l’inquisiteur s’efforça, avec toute la précision que nous avons pu déceler, de définir précisément quels étaient les dogmes des hérésies qu’il a eu à combattre. Le Catharisme était une religion dualiste, où s’opposait un dieu bon, créateur de l’esprit, et un dieu mauvais, créateur de la matière. Le but de ses fidèles était de se détacher au maximum des contingences matérielles, suivant ainsi l’exemple des Parfaits, ayant reçu le sacrement du consolamentum. Le Valdéisme fut fondé par Pierre Valdo, bourgeois Lyonnais qui revendiquait le droit pour les laïcs de pouvoir prêcher. Les Vaudois furent peu à peu rejeté dans l’hérésie par l’Eglise Romaine. Les Béguins, ou Spirituels, constituaient le tiers-ordre Franciscain, et rejetaient toute compromission au sujet de la pauvreté, allant jusqu’à rejeter la pauvreté collective de leur ordre. Cela s’accompagnait de fortes influences Joachimites.

Puis, nous avons vu comment était structuré le Livre des sentences. Composé de vingt-et-un sermons, cet ouvrage se répartit entre sermons généraux, à la structure fixe, destinée au grand public, et les sermons particuliers, à la structure adaptée aux condamnations exceptionnelles auxquelles elles donnent lieu. Nous avons pu voir une gravité croissante des peines prononcées lors de chaque sermon. Les remises de peines sont suivies des peines de Mur, puis de condamnation contre les hérétiques morts dans l’hérésie, puis d’abandons à la cour séculière pour les impénitents et les relaps.

Le Livre des sentences n’est pas la seule source inquisitoriale existante. D’autres, telles que le registre des pénitences de Pierre Cellan ou la Practica inquisitionis du même Bernard Gui, permettent d’analyser le fonctionnement de l’Inquisition médiévale. Mais le Livre des sentences se distingue des autres ouvrages. Il est le seul à retranscrire avec autant de précision les sermons inquisitoriaux. Cela nous permet, comme dans le présent mémoire, de chercher à mieux comprendre la logique inquisitoriale par l’intermédiaire du discours de l’inquisiteur.

Ce discours témoigne fortement du soucis de Bernard Gui de se présenter comme impartial devant la foule assemblée pour écouter ses sermons. Ce soucis se traduit par un vocabulaire généralement neutre, repris du discours législatif, notamment par l’emploi très régulier du terme Item. Mais les entraves à cette logique sont suffisamment rares pour qu’elles soient ainsi mises en valeur, comme les passages où la miséricorde de l’inquisiteur est précisée, ou lorsqu’il compare un relaps à un chien retournant à son vomi.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 18:33

Mais ces sermons ne sont que l’aboutissement d’une longue procédure. Un procès inquisitorial débute généralement soit sur une délation soit sur une auto-saisine de l’inquisiteur. Celui-ci convoque alors l’accusé et procède à une enquête (inquisitio) à son encontre. L’objectif est de parvenir à des aveux de la part de l’accusé, puisque ce dont il est accusé est de l’ordre des convictions, des pensées. Cela n’empêche pas de rechercher des preuves formelles et des témoignages, généralement de pratiques liturgiques ou de rencontre avec d’autres hérétiques, mais ceux-ci ne servent qu’à encourager l’accusé à avouer son hérésie.

Une fois ceci fait, l’inquisiteur réunit les assesseurs, conseil de juristes équitablement composé de clercs et de laïcs, afin que ceux-ci définissent la peine à prononcer à l’encontre de l’accusé. Déterminer avec précision la composition des ces conseils d’assesseurs à partir du Livre des sentences est impossible, mais il est cependant possible de circonscrire un groupe de personnes dont on peut supposer qu’elles en fasse partie. Le problème de l’Inquisition en matière de prononciation de peines vient de l’interdiction faite aux clercs de condamner quelqu’un à mort. Pour contourner cet interdit, les relaps et les impénitents sont laissés à la justice laïque, cette dernière se voyant indirectement forcée à prononcer la sentence capitale.

Cela pose le problème des rapports entre l’Inquisition et les justices laïques. En effet, ces dernières ont en charge la plus importante des peines. Afin de s’assurer leur soutien, Bernard Gui faisait prêter serment aux agents royaux et aux consuls et capitouls des communes concernées, le plus souvent ceux de Toulouse. Ces serments exigent des pouvoirs laïcs un soutien total à l’office inquisitorial. L’inquisiteur est alors assuré de voir tous ceux qu’il condamne officieusement à mort, par le biais de l’abandon à la cour séculière, se faire effectivement exécuter.

Mais nous avons pu voir que cette possibilité n’a pas donné lieu à de nombreux bûchers. Contrairement à l’image que lui ont donné Umberto Eco et Jean-Jacques Annaud, Bernard Gui n’était pas un monstre sanguinaire. En effet, “seuls” 5% des personnes condamnées par cet inquisiteur l’ont été à mort. Une majorité relative des sentences est constituée des remises de peines. En d’autres termes, Bernard Gui pardonnait plus qu’il ne tuait.

De plus, nous avons pu observer que la zone d’activité de Bernard Gui recouvrait à peu près l’ensemble du Languedoc, celle-ci se chevauchant avec celle de Jean de Beaune, inquisiteur de Carcassonne, dans le bas-Languedoc. Cela recouvrait la zone couverte par le Catharisme Languedocien. Mais le Dominicain n’hésitait pas à pourchasser des Vaudois situés sur la rive gauche de la Garonne, autrement dit en Gascogne, en-dehors du Languedoc.

Enfin, nous avons pu définir un parcours-type de condamnation des hérétiques par Bernard Gui. Il commence par une condamnation au Mur, ce qui suppose obligatoirement l’abjuration de l’hérésie, se poursuit avec une grâce du Mur avec port des croix, et se conclut avec une grâce des croix. Bien qu’une infime minorité des condamnés suivent ce schéma, nombreux sont les condamnés à suivre partiellement ce parcours-type.

Mais qui sont ces condamnés? Et comment réagissent-ils face au danger que représente l’Inquisition? Pour les Cathares, l’essentiel de leur activité tourne autour d’une dizaine de Parfaits, extrêmement actifs et mobiles. Guidés par Pierre Autier, ils vont de ville en ville, résidant chez les fidèles, afin de prêcher et d’administrer le sacrement du consolamentum. Mais, une fois ce petit groupe attrapé et condamné, le reste de la communauté Cathare se retrouve orpheline et décline rapidement.

Les Vaudois, quant à eux, ont développé de fines stratégies de discrétion afin d’échapper à Bernard Gui. Avec un clergé plus structuré, ils ont pu mettre en place une efficace répartition de leurs prêcheurs afin d’administrer les sacrements, de prêcher et de récolter les fonds nécessaires à la poursuite de leur activité. Mais les Vaudois sont peu présents dans le Languedoc, l’essentiel de leurs prêcheurs et de leurs fidèles se trouvant en Gascogne car ils espéraient y trouver une certaine sécurité après avoir échappé à l’Inquisition Bourguignonne.
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Message par Pouyss Mer 11 Avr - 18:34

Les Béguins, ou Spirituels, n’ont jamais véritablement eu de hiérarchie propre, puisqu’ils étaient rattachés à l’Ordre Franciscain. Et la terrible répression qu’ils subirent non seulement de la part du pape Jean XXII et de leurs frères conventuels ne fit qu’aggraver leur situation. L’activité inquisitoriale de Bernard Gui à leur encontre s’est inscrit dans le cadre d’une véritable purge à l’échelle de l’Occitanie. Mais les Spirituels furent les moins nombreux à être condamnés par Bernard Gui, du fait de leur faible implantation dans le haut Languedoc.

L’Ordre des Apôtres est né en Lombardie, elle aussi sous une influente Joachimite, mais le seul fidèle de cette hérésie condamné par Bernard Gui a été un Espagnol de Galice, où les hérétiques sont des cas exceptionnels. Il semble que ce cas Espagnol soit du à une tentative avortée de cette hérésie de s’implanter dans la péninsule Ibérique afin de tenter de survivre malgré la féroce répression qu’ils ont subi dans la région de Parme.

Le Judaïsme n’est pas à proprement parlé une hérésie, et les Juifs sont tolérés par l’Inquisition, mais Bernard Gui fit tout de même brûler de nombreux Talmuds, qu’il déclarait contenir des blasphèmes à l’encontre de Jésus Christ et de la Vierge Marie. A cela, il faut ajouter deux cas de Juifs convertis au Christianisme puis retournés au Judaïsme. Ce n’était pas leur Judaïsme qu’a jugé Bernard Gui, mais leur apostasie, l’abandon de leur foi Chrétienne.

Enfin, il serait difficile de parler de l’Inquisition Languedocienne du début du XIVe siècle sans aborder le sujet du Franciscain Bernard Délicieux, farouche opposant non pas du principe même de l’Inquisition, mais des abus des inquisiteurs. Il aura tenté de se servir de son alliance avec les consuls des communes de Carcassonne, d’Albi et de Cordes pour leur donner comme nouveau suzerain le roi de Majorque. Mais Philippe le Bel intervint et stoppa le complot. Bernard Délicieux, proche des Spirituels, se fit arrêter par Jean XXII à Avignon, ce qui l’amena jusqu’à la condamnation prononcée à Toulouse.

Nous pouvons donc maintenant répondre à la problématique du présent mémoire: “Quelle logique conduit à l’attribution de peines et de pénitences par Bernard Gui d’après son Livre des sentences?”. Le but de l’Inquisition est de faire revenir les hérétiques dans la foi de l’Eglise Romaine. Dans cette optique, toute peine capitale est un échec pour l’inquisiteur. C’est pour cette raison, et pas simplement pour se dédouaner, que Bernard Gui dit, à chaque abandon à la cour séculière, qu’il se voit obligé de le faire. Ceci explique que seulement 5% des condamnés le sont à mort.

Ce travail de conversion se fait selon un système de pénitence semblable au sacrement de la confession. L’hérétique doit faire preuve de contrition en abjurant son hérésie. C’est pour cette raison que les relaps et les impénitents sont automatiquement abandonnés au bras séculier: leur contrition est respectivement considérée comme fausse, puisqu’une précédente abjuration n’a pas été définitive, et comme nulle, puisque l’impénitent refuse d’abjurer.

Cette contrition doit être révélée par les aveux. C’est pour cette raison que les impénitents qui finissent par abjurer au pied du bûcher doivent faire preuve d’une contrition totale en fournissant des aveux complets. Enfin, cette “confession inquisitoriale” se conclut par la satisfaction, la pénitence qui permet à l’hérétique de se faire pardonner de ses fautes devant Dieu. Les peines inquisitoriales sont donc conçues comme une sorte de cadeau offert à un hérétique pour se gagner le Paradis.

J’ai bien conscience de prendre excessivement le contre-pieds d’Umberto Eco en présentant les inquisiteurs comme des bienfaiteurs, mais force est d’avouer que la logique inquisitoriale qui ressort du Livre des sentences n’est pas une logique de répression mais plutôt de réintégration des hérétiques dans le giron de l’Eglise Romaine. La question qui se pose donc est de savoir si cette logique est exclusive à Bernard Gui ou partagée par la majorité des inquisiteurs.
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